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Chroniques
Nabucco | Nabuchodonosor
opéra de Giuseppe Verdi
C’est, par définition, l’ouvrage qui peut faire bonne figure dans le cadre des Chorégies d’Orange. Sa renommée auprès du public lyricophile, ses vastes dimensions scéniques mêlant arie à panache, ensembles concertants brillamment enlevés et opulentes scènes chorales, son célébrissime chœur Va, pensiero (toujours très attendu) dont la mélodie évoque quelque choses même dans l’esprit des plus ignorants en matière d’opéra… bref, nombre de critères en font un pilier du répertoire attaché au théâtre orangeois – un pilier attendu, propre à réconcilier les diverses composantes d’un public qui s’est déplacé en nombre jusqu’au pied du fameux mur antique romain. Un facteur presque obligé put mouvoir les foules : impossible de s’ennuyer pendant une représentation de Nabucco.
Eh bien, si, cette fois, c’est possible !
Nonobstant les conditions atmosphériques actuelles, parfois difficiles à vivre, pour le spectateur pelotonné sous ses vêtements hivernaux et plus encore pour les musiciens et, surtout, les chanteurs, la production scénique est la première déconvenue à frapper l’auditeur. Relecture, vous avez dit relecture ? Pourquoi pas, puisqu’il en est de fort réussies qui occasionnent parfois des mises en valeur, des redécouvertes, des dramaturgies revivifiées, comme revigorées. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas vraiment le cas de cette réalisation de Jean-Paul Scarpitta, signataire de la mise en scène, mais aussi des décors et des costumes. Celui-ci est visiblement fort satisfait de son travail, à en croire le texte du genre profession de foi qu’il a fait publier dans la brochure de salle.
Sobriété et méfiance vis-à-vis de tout « exotisme » malséant, de tout « historianisme » fatigué, sont au programme. Devant le seul mur de pierre, les effets de lumières et les effets de masse forment l’ossature dramatique de base – et pourquoi pas ? Au début, ils font leur effet, puis finissent par tourner court, mille fois répétés et desservis par la pauvreté des composantes annexes, dues au même concepteur. Tant du côté des costumes, d’une rare banalité et parfois même d’une incroyable laideur (ah, la houppelande à rayure, façon robe de chambre IVe République, dont on affuble l’infortuné Nabucco !), du mouvement, entrées et sorties une fois côté cour, une fois côté jardin, inlassablement redites… pour ne pas parler des éclairages, évidemment vidéastiques, plats et mal conduits.
Si encore la direction d’orchestre prenait les choses en mains, développait, amalgamait et vivifiait les énergies… Ce n’est pas le cas. Sous la battue sinon fougueuse du moins attentive et précise du vétéran Pinchas Steinberg, tout est soigneusement calibré, détaillé, mais la flamme de la partition verdienne n’est pas titillée, stimulée, magnifiée, malgré les beautés et les qualités indiscutables de l’Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon, aux cordes superbes et point du tout frileuses. Sans parler des réelles beautés et de l’imposante homogénéité d’une masse chorale regroupant les forces vives de quatre opéras méridionaux – Avignon, Montpellier, Nice et Toulon.
Côté distribution, les dames s’en sortant fort bien, de l’Abigail musicale, généreuse et vaillante de Martina Serafin [lire notre entretien] à la Fenena très en voix de Karine Deshayes, en passant par l’Anna fort à l’aise de Marie-Adeline Henry. Côté masculin, l’Ismael généreux de Piero Pretti, le Zaccaria solide de Dmitri Belosselskiy et le Grand prêtre expressif de Nicolas Courjal laissent sur le bord de la route le Nabucco fatigué de George Gagnidze qui manque de puissance et de relief vocal – un manque cruel, un manque de plus.
GC